Eeichi arriva au restaurant en fin de matinée. Après avoir salué les autres membres du personnel, il se changea dans les vestiaires et prit place en cuisine. Le tyran, son supérieur au tempérament indélicat, n’arriva que bien plus tard, juste avant le début du service. Ses condisciples et lui-même redoutaient ouvertement les excès de colère de cet homme dont le talent pour la gastronomie n’égalait qu’à peine la diction parfaite qu’il démontrait durant ses vocalises insultantes.

Profitant de l’accalmie de l’heure, Eeichi commença à aiguiser ses couteaux minutieusement en compagnie de Saito qui, sans être un ami, demeurait la personne la plus agréable avec qui discuter en cuisine. Très vite, les premières commandes arrivèrent, suivies du tyran dont la mine épuisée présageait une parade d’injure particulièrement raffinée. Puis elle fit son entrée…

Une jeune fille brune dont l’air timide, qui rayonnait par un regard facétieux, incitait le plus décent des hommes à apprécier la silhouette fine et faussement fragile d’une créature sortit tout droit d’un rêve. N’osant pas aborder une si rare relique de féminité, le garçon se concentra d’autant plus sur sa cuisine et s’essaya à l’imperceptible soupçon créatif du passionné. Le tyran, naturellement suspicieux, s’aperçut de l’outrecuidance d’Eeichi et attendit patiemment que la serveuse s’empare du plat pour assouvir son emprise hiérarchique. Les injures fusèrent à une vitesse phénoménale et l’intensité de l’altercation stoppa brièvement l’activité de la cuisine. Abattu, Eeichi retourna à son travail, renfermant dans son inconscience une immonde colère probablement nocive pour sa santé.