C'était une après-midi de juillet éreintante de chaleur. Pour peu, on aurait cru que le soleil était descendu dans la stratosphère et écrasait les immeubles de tout son rayonnement. Les ombres se faisaient rares, les ventilateurs tournaient à plein régime, des clients s'entassaient devant les réfrigérateurs de l'épicier du coin, les jeunes s'amusaient à s'arroser avec l'eau de la fontaine du parc tandis que les individus en plein travail essayaient tant bien que mal d'économiser leur mouvement pour trouver un peu de fraîcheur. C'était aussi le cas d'Aiken, un bébé chien de type Akita Inu abandonné par sa famille d'adoption qui ne l'avait pas vraiment désiré. Un drame animalier comme tant d'autres, surtout à l'approche de l'été et des grandes vacances...

Il errait à présent dans les rues de Tokyo en quête d'une flaque d'eau quelconque pour se désaltérer. La fournaise ambiante appauvrit ses chances d'en rencontrer, la grande majorité s'étant évaporée aux premières heures de la journée. Cela allait faire près d'une semaine qu'il était livré à lui-même. La sous-alimentation et la déshydratation dont il souffrait le peinaient désormais énormément. La langue pendue et sèche, il ne haletait plus vraiment, signe d'une thermorégulation défaillante. Il déambulait de façon chancelante. Ses petites pattes se croisaient et parfois, il se vautrait à terre.

« Ho Maman, regarde ! s'apitoya un garçon qui voulait aider le petit canidé à se relever.
- Pas question ! protesta la mère en retenant son fils par la main. C'est plein de microbes, ces choses-là ! Je t'interdis de t'approcher des chiens errants, aussi mignons soient-ils... »
Guidé par le besoin, le chiot se releva fébrilement.

Plus loin, lorsqu'une boule de poils mit son nez comme eux dans les poubelles, deux sans-abris jetèrent un coup d'œil dans le ravin au bord de la condition humaine.
« Hep, tu crois que ça peut se manger ce genre de choses ? prononça l'un des deux, peut-être stoppé par le doute... ou par une simple question pratique.
- Ne dis pas de conneries, réagit tout de suite le second. Si tu veux te conduire comme un chien, fais ce que bon te semble. Mais tu seras tout seul ensuite. »
Les deux hommes délaissèrent alors le chiot, non par manque de générosité, mais parce que la vue de ce chiot leur rappellerait trop la misère de leur condition lié à cet évènement.

Aiken continua sa route jusqu'à ce que ses forces l'abandonnèrent à leur tour. Il échoua dans une ruelle qui profitait de l'ombrage de deux immeubles. Mais la chaleur était trop étouffante pour que le vent pût souffler et apporter au chiot une mort paisible. Incapable de réguler sa température interne, la perception d'Aiken flancha. Il perdit l'équilibre et s'écroula une fois pour toutes parmi les ordures de la ruelle. Déshydraté, son corps entier bouillonnait de fièvre et il n'était plus capable de se mouvoir. Quand il ne perdait conscience, il gémissait de douleur. Son ventre ne cessait de se crisper et bientôt il convulsait d'inanition. Cela dura une longue minute. Il décéda, allongé sur un flanc, son duvet gris en picot tout sale, mais jamais de ses pupilles dorées et semi-closes, l'éclat du soleil ne quitta.