" Celui qui arrive sans qu'on l'ait fait venir, c'est le destin. "
Quelque part, en Europe. Au milieu d'une ruelle sombre, une frêle silhouette se mêlait aux ombres. Toute vêtue de noir, elle courrait de toutes ses forces, ses dernières, pour échapper aux doigts avides de la Mort, éternelle poursuivante. Telle une bête apeurée, blessée, elle boitait et courait en se cognant violemment contre les murs, l'espace d'une seconde afin de reprendre son souffle. Dans cet halètement bruyant et persistant, la terreur et la douleur étaient plus que jamais perceptibles.
En même temps que le sang se répandait à grosses gouttes derrière lui sur le béton glacé, laissant son empreinte en ce monde souillé, les larmes coulaient elles aussi en abondance. C'était une fuite sans espoir, insensée. Une lutte contre l'impossible. Un combat permanent, et en ces quelques secondes, Hanaki Kyou vivait. Entre gémissements et pleurs, lamentable traqué, le chasseur seul arpentait les ténèbres. Tout son être implosait pour vomir tout ce qu'il avait accumulé.
Ses pas lourds et saccadés, à l'instar de son souffle, résonnaient dans cette allée déserte. Il ne sentait plus ses jambes, il ne sentait plus son coeur ni ses poumons. Il glissa soudain. Le sol était gelé. Il le sentait contre sa joue brûlante et mouillée. Sous une pluie finie qui s'épaississait au fur et à mesure, à l'image de ses chances de s'en tirer, le jeune garçon entendait son corps hurler. Il était étalé dans une eau sale, son fluide vital s'y répandant doucement alors qu'il contemplait impuissant ce changement de couleur. Cette horrible couleur qui le fit trembler entièrement, alors que ses yeux fiévreux brillaient d'un sentiment que l'on ne peut comprendre qu'en l'ayant vécu.
Il ne voulait pas mourir, Il ne voulait pas mourir.
Il rampait, pitoyable créature. Il n'avait rien d'admirable. Rien d'un héros. Il n'était pas l'outil d'un quelconque Dieu. Il n'était pas le fruit d'une miséricorde divine. Il n'était le fruit que de l'aléatoire. Il vivait l'aléatoire. Il rampait sans connaître la case sur laquelle il progressait. Il était moins qu'un pion, moins qu'une fourmi. Il n'était rien. Réunissant ses ultimes ressources, le Gantzer se releva en tremblant, crachant un peu plus de sang alors qu'un pic de souffrance le transperça dans son effort. Il gémit et se mit à pleurer plus fort encore. Il vivait l'enfer, la pire détresse de l'homme. Solitude et désespoir ne faisaient qu'un. Il se remit à courir, bien qu'il ne voyait plus rien, ni aucune éventuelle lumière au bout du tunnel de ces rues vides. Il fallait courir, à n'importe quel prix. Courir dans cet inconnu. Courir en sachant qu'au bout de la ligne, il n'y avait rien. Courir en sachant qu'il avait déjà tout perdu. Courir sans réfléchir, juste parce que mourir allait à l'encontre, non pas de sa nature, mais de sa parcelle de volonté. De son profond inconscient. Courir pour vivre, au risque de le regretter. Courir.
Il ne se retournerait pas. Pas encore. Il serrait dans sa main sa dernière arme. Son unique chance. Cela ressemblait désormais à un jouet futile. Cours. Cours ! C'était ce que son cerveau lui criait. C'était son seul commandement, brouillé par un milliard d'émotions imparables et trop puissantes pour être mises de côté. Les images, les sensations, les souvenirs, tout lui revenait alors qu'il s'évertuait à mettre un pied devant l'autre. Tout était un obstacle à sa survie, en étant paradoxalement les seules choses qui le poussaient à ne pas s'arrêter, qui le rattachaient à l'infime firmament de l'existence.
Reika. Sakyo. Leur sourire. Les larmes. La joie. Le goût. Ses lèvres. Le Japon. Sa solitude. Leur présence. Le transfert. Gantz. La mort. L'adrénaline. Ses soeurs. Les coups de son père. Le vent. Les autres. La violence. Tokyo. La peur. La main de Sakyo. Le ciel voilé. Cette nuit. Les lueurs de la ville. La circulation. Une musique. Un film. Une image. Une photo. Eux trois. Les cauchemars. Leur entraînement. Les points. La confiance. Leur amour. Cet oiseau. Un arbre. Son sourire. Son école. Sa maison. Lui. Son humanité.
A nouveau il tomba à genoux, au milieu d'une route déserte. Et hurla. Il hurla si fort. Du plus profond de son âme déchirée.
" JE NE VEUX PAS !!! Hu... JE NE VEUX PAS... MOURIR !!! "
Il suffoqua dans ses sanglots et se serra entre ses bras faibles. Les seuls bras qu'il lui restait. Sa dernière défense. Il murmura à l'aide, mais personne ne l'entendait. Il n'y avait plus personne. Des pastilles de sa combinaison délabrée suintait le liquide. Lentement, il leva son arme vers son visage. En finir soi-même. Il ne voulait pas être tué. Il ne voulait pas mourir. Mais avait-il le choix ?
" Reika... Sakyo... "
C'était derrière lui. Juste derrière lui. Ca l'attendait, car il était le dernier. Il ne le serait plus longtemps.
Avalant salive et sang, rage et amertume, tristesse et désespoir. Hanaki se leva doucement, son torse brûlé se levant également au rythme lent de sa respiration. Il ferait face à son destin. Jusqu'au dernier espoir, aussi futile soit-il. Aussi insignifiant.
Il se tourna et tendit son arme, le regard animé de la plus incroyable des émotions, celle qui surpasse la volonté, qu'aucun homme ne peut décrire sans s'égarer.
Cette émotion.
" Va où tu veux, meurs où tu dois. "
[A7 - Hanaki Kyou] Ce que l'humanité n'oubliera jamais