*C'est ça, de ne pas exister... *
Du peu qu'elle le pouvait encore, Miyamura tournait sa tête, de quelques centimètres, pour constater, en braquant ses yeux, son épaule gauche dont la moitié n'existait plus et dont le bras associé n'était plus. La douleur n'était pas si terrible, elle était chaude, semblant gonfler, pigmenté de pointes gelées, comme des tiges d'acier la titillant. Cependant, ce à quoi elle pensait n'était pas la blessure elle-même, mais son bras. La question n'était plus de ne pas pouvoir le bouger, d'avoir mal, de sentir qu'il n'y avait plus rien, mais l'inverse : Sans le constater, il aurait été impossible de dire qu'il n'était plus là, le problème n'était pas de ne pas pouvoir le bouger, mais de ne pas pouvoir essayer, elle ne sentait pas qu'il n'était plus là, elle ne le sentait pas, comme s'il n'avait jamais été. Il n'existait donc plus, aucune sensation, aucun nerf, aucun mouvement n'y était associé, il n'y avait simplement rien. Contrairement à tout le reste de son corps qu'elle essayait de bouger sans succès, qui était lourd, dont les nerfs ne voulaient répondre, bouger son bras gauche était devenue comparable à tenter de faire bouger l'air autour d'elle, peut importe la manière dont on essaye, y réfléchit, il n'y a aucune commande, aucun muscle le permettant. On ne pouvait pas qualifier ça de sensation bizarre, car il n'y en avait aucune, même pas un sentiment de perte, rien, comme si c'était naturel.
Et pour quelqu'un ne croyant en rien de supérieur, aucun mythe, comme elle, le parallèle était aussi facile que terrifiant : c'était la mort. Non pas au sens ou on la ressentait, ou même qu'elle la sentait venir, mais dans le sens ou l'on existait plus, que justement il n'y avait plus rien, le néant. Mais étrangement, c'était tellement inimaginable. Elle pouvait penser, constater, savoir, se souvenir, comment tout peut simplement disparaître, comment peut-il ne rien rester ? Le fait même d'avoir une conscience empêche de savoir ce qu'est de ne pas avoir une conscience, même alors qu'elle le constatait avec son bras. Jusqu'au dernier moment, il y aurait quelque chose, une vision ou pensée, un sentiment, n'importe quoi, mais quelque chose, c'est pourquoi nous n'aurons jamais conscience d'être mort, jamais, de la même manière qu'elle ne pouvait ressentir que son bras n'était plus là, elle pouvait seulement le constater par ses sensations extérieures à celui-ci.
Mais même en sachant tout cela, penser que ceci avait si peu de sens...Vivre en suivant simplement un chemin tout tracé, un soit-disant parcourt, ne rien faire de marquant, et même si c'était le cas ça disparaitrait dès lors qu'on cesse d'exister, puis finir par mourir d'une manière qui n'a pas plus de sens. En y repensant elle ne parvenait pas à y voir la moindre signification, aussi bien à sa vie qu'à l'accident... Elle ne faisant qu'accompagner sa mère faire les courses, portant des sacs, assistant à un banal accident de voiture qui n'aurait probablement fait aucune victime si l'une d'elle, en glissant, n'avait pas enjambé le trottoir, la plaquant contre le mur dans une position improbable, alors qu'elle avait tenté de s'écarter, puis la laissant tomber sur le dos en s'avançant, probablement lorsque le conducteur la vit dans son rétroviseur, dépassant à moitié au niveau de la roue arrière. L'attitude qu'elle avait toujours eu n'arrangeait rien à cette absence de signification, elle qui n'avait jamais été vraiment capable d'exprimer ce qu'elle ressentait, même alors qu'elle constatait et imaginait ses blessures, pensant fermement qu'il était impossible d'y survivre, elle ne parvenait pas à réaliser qu'elle pouvait mourir, car ne pouvait imaginer la mort. Même lorsqu'elle voyait le visage de sa mère, sauve, hurler son nom au-dessus d'elle. Malgré qu'elle soit terrifiée, triste, que ne plus exister et n'avoir aucun sens la rendait vide, elle ne fit qu'un sourire arrogant envers elle-même, pointé de cynisme et d'ironie en bafouillant, justement, quelque chose ressemblant à « C'est ironique ».
Elle n'avait jamais rien réussi à exprimer clairement, ne l'avait jamais voulu non plus, pensant toujours qu'elle le devrait quand même et que cela se ferait naturellement si les conditions étaient extrême, justifié, ou le nécessitait, mais même maintenant, quand tout ce qu'elle pensait être les conditions exceptionnelles étaient là, elle était plus calme que jamais, pouvant encore moins s'exprimer. Ayant toujours envie d'être naturel et de crier qu'elle avait peur, de rassurer sa mère, de dire de bonne chose, mais la seule réaction qu'elle avait était de se prendre de haut et de se dire qu'elle avait raison de ne rien exprimer et de n'être que ce qu'elle veut, pas ce qu'elle est : car de toute manière tout ça n'a pas de sens et n'en aura jamais, elle avait raison, et tord de s'être toujours remise en question, pourquoi se forcer à être soit-même, si cela n'a pas plus de sens que le reste : le résultat est identique.
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