Huit heures venaient de sonner sur l'horloge du salon lorsque la porte d'entrée pivota enfin, laissant apparaître une silhouette féminine sur son seuil. La journée avait été exténuante, et cela se voyait par sa démarche et l'expression de son faciès dont les traits tirés par l'angoisse du quotidien la faisait paraître soudainement plus âgée. Attifée d'une simple chemise blanche à col, une paire de jeans bleu foncés en guise bas et baskets aux pieds, elle portait en bandoulière un énorme sac dans lequel se trouvait un ordinateur, sur lequel elle prenait ses cours, ainsi que la multitudes d'ouvrages japonais et étrangers qu'elle se devait d'emporter à l'université cinq jours sur sept. Une cascade de cheveux blonds déferla sur sa poitrine alors qu'elle enlevait le nœud lui ayant soutenu cette imposante masse capillaire depuis son départ matinal, à sept heures plus précisément. Jetant un distrait coup d'œil sur sa montre tout en enlevant ses chaussures, elle méditait, silencieuse. Son frère n'allait pas tarder à rentrer non plus. Les deux suivaient les cours dans la même université mais dans des filières séparées. Il enchaînait les années d'études de droit à un rythme presque infernal tant et si bien qu'elle se posa furtivement la question suivante : quand allait-il s'arrêter ? L'acharnement était pour Keiji une valeur immuable tandis que pour sa cadette ce n'était qu'une banale attitude frisant l'inutile. Une philosophie de vie à laquelle elle n'espérait jamais s'allier. Pour le moment elle se contentait d'étudier ce qui lui tenait à cœur, à savoir la beauté des mots transcendés par une lecture orale, sobre et poétique, résonnant délicatement à l'oreille tel un baiser volé. Sa journée n'était pas terminée, et le plus dur restait à venir. Il lui fallait à présent rejoindre sa chambre et s'assommer de travail à 'en plus finir, car tel était le rythme de vie d'un étudiant de Todaï. Plus d'amis ou très peu, plus de loisir, plus de repos mais davantage de soucis et de fatigue qui, au fil des semaines s'accumulait, inépuisable. Sayuri acceptait cette existence morne, elle s'y soumettait par amour de la littérature mais également par habitude du travail, non pas acharné mais contraint.
S'asseyant devant une table basse en plein milieu de son exigue chambre, elle alluma son ordinateur et sortit une pile de livres, les étalant sur la surface lisse du bois travaillé. Le projet d'étude de ce soir allait s'orienter sur un auteur japonais, plus particulièrement sur un passage spécifique de son œuvre majeure. Il fallait lire entre les lignes, apporter un surplus d'information en attendant patiemment le dîner qui serait ramené par Keiji. Ce dernier ne de fit d'ailleurs plus attendre, et débarqua une demi-heure plus tard, offrant à sa sœur une pause anticipée. Les plats réchauffés furent prêts en un coup de micro onde et ils passèrent à table dans la pièce principale.
" Comment s'est passée ta journée ? " dit-elle en attendant que son bol émettant de multiples volutes de fumée ne refroidisse.
Keiji toussota, nouilles à quelques centimètres de sa bouche contenues par deux solides baguettes de bois.
" Rien de bien spécial ... je suis resté à l'université toute la journée, puis j'ai fait un détour au magasin du coin afin d'aller chercher le repas. "
L'habituel silence se tâcha de clore le semblant de conversation amorcé par la plus jeune. A une heure aussi avancée de la soirée, le repas allait se clore assez rapidement et les deux disposeraient dans leurs chambres respectives afin de se mettre au travail. Encore.