Une demi-heure avait été nécessaire aux forces de l'ordre pour se rendre sur place, quelques minutes après l'arrivée des pompiers. Les appels avaient soudain abondés au commissariat et les témoignages étaient si concrets qu'il y avait des raisons de s'inquiéter. Selon les témoins, Tokyo était encore la cible de dangereuses attaques terroristes. Alertés par les civils, un détachement de policiers avaient été immédiatement envoyés sur le terrain, parmi eux figuraient les inspecteurs Sendo Osagawa et son bras-droit Fujima Eichiyoshi. Les deux hommes avaient guettés un événement de ce genre et aussitôt avaient-ils entendu parler de cette série d'appels qu'ils s'étaient empressés de demander l'autorisation au commissaire pour faire partie de la brigade d'investigation.
Ainsi, ils arrivèrent en face des immeubles Hayate, non loin d'un des plus grands parcs de la mégapole.
Le premier à descendre de la voiture fut l'inspecteur Sendo, aux aguets. D'un oeil vif, il observa les environs en faisant un rapide tour sur lui-même, l'air anxieux et déjà concentré. Il fut précédé par le jeune Fujima qui venait de sortir d'une sieste improvisée au commissariat. Dur de se faire réveiller par une furie noire munie d'une matraque. Il massa avec délicatesse la bosse à l'arrière de son crâne chevelu, dévisageant furtivement son supérieur.
Les pompiers étaient déjà éparpillés le long de la rue, les équipes se rapprochant principalement du parking en bas des immeubles pour espérer déblayer rapidement les décombres et les morceaux de tôle froissées. D'autres étaient regroupés vers des simili-cratères peu profonds qui semblaient marquer des points d'impact précis et de diamètres variés. Ils trouvèrent aussi des cavités rocheuses creusées d'une façon étrange à même le béton des trottoirs, comme effrités par des années de corrosion. L'inspecteur Sendo eut vite fait de rejoindre l'équipe la moins occupé en envoyant Fujima s'occuper plus loin. Les autorités de police restantes se déployaient le long de la rue à la recherche d'autres éléments clés pour l'enquête, notamment des résidus d'explosifs, des pièces à conviction ou des victimes.
Sendo était désormais aux côtés d'une équipe qui examinaient les traces laissées le long de la rue principale. En guise de présentation, il leur montra brièvement son badge et les questionna de vive-voix, ne s'attardant que sur les trous.
« Vous avez trouvé quelque chose ? »
Un homme du groupe se tourna vers lui pour lui répondre, soulevant la visière de son casque de protection.
« Non inspecteur, on a rien trouvé de concluant. On a jamais vu d'explosifs qui aient une telle portée sans laisser de traces concrètes. Regardez, ça n'a été causé par aucun débris. C'est comme si les dégâts étaient aléatoires. »
Machinalement, Sendo posa les doigts de sa main gauche sur son menton alors qu'il réfléchissait. Qu'est-ce que ça voulait dire, en clair ? Qu'un explosif ne pouvait pas faire ça ? Si ce n'était pas une attaque terroriste, qu'est-ce que c'était ? Il regarda autour de lui l'étendu des dégâts et actuellement aucune réponse ne lui traversait l'esprit. Frustré par cette incapacité à résoudre ces cas inexpliqués, il grogna et quitta le groupe des pompiers pour rejoindre le plus gros des troupes. A peine arrivé qu'il fut arrêté par le chef des excavateurs. Il lui en répondit de la même façon qu'aux autres, le badge sous son nez.
« Des traces de survivants là-dedans ? »
Alarmé, le pompier répondit par la négative en baissant la tête.
« Personne n'a été retrouvé jusqu'à maintenant. Selon les dirigeants de l'immeuble, les chambres d'hôtel alentours étaient inoccupées, une chance ! »
Sans manifester la moindre réaction à cette annonce, l'inspecteur renchérit sur une autre question.
« Vous avez réussis à déterminer la cause de l'explosion ? »
A ce moment, le pompier parut gêné et détourna le regard en mordillant ses lèvres inférieures. Il finit par répondre.
« Ca pourrait être une attaque terroriste mais, voyez-vous, l'emplacement n'est pas adéquat pour ce genre d'attentat, il n'y avait que très peu de civils à cet endroit, fort heureusement d'ailleurs ! Par contre, il n'est pas impossible que ce soit l'oeuvre d'une voiture piégée. »
Sendo plissa les paupières et fit mine d'acquiescer en tournant les talons, sortant son paquet de cigarettes vivement pour en sortir une et l'enfourner entre ses lèvres. En un coup de briquet, il l'alluma et tira une bouffée amère en observant par dessus son épaule le déroulement de l'opération. Un simple règlement de compte ? Une embrouille de Yakuza ? Il enverrait Fujima se renseigner auprès de l'accueil au sujet des noms des derniers clients, histoire de voir si des noms connus apparaissaient dans le registre. Silencieux et agacé, il se posait des questions.
* Ce ne serait qu'une fausse alerte, alors... ? Bordel ! *
L'inspecteur soupira de lassitude et chercha son collègue dans les parages. Ce ne fut que pour le voir se ruer sur une caméra de télévision. Les yeux écarquillés, l'inspecteur sortit de ses gonds et rappela à l'ordre son bras-droit trop attaché à la gloire en criant son nom à plusieurs reprises, se rapprochant de leur position au pas de course, sérieusement échauffé par la présence du reporter, et son irritation ne fit que croître lorsqu'il nota la présence du logo de la chaîne J-la sur l'outil de travail de l'employé. Encore un serviteur de l'émission et de ce satané Eikichi ! Bouillant de rage, il arriva à la hauteur de la caméra et l'écarta brusquement du visage du fouineur pour le regarder droit dans les yeux.
« Toujours les mêmes aux premières loges, hein ! »
Excédé par la présence du journaliste, il ne pouvait s'empêcher de toiser avec dédain ce charognard avide d'images choc malsaines et irrespectueuses. Le caméraman en question était un jeune un peu maigrelet qui, visiblement étonné de l'intervention de l'inspecteur ne montra aucune forme de résistance ou d'énervement. Au contraire, il se présenta amicalement.
« Ken Akimaru, journaliste reporter ! Sacré bordel pas vrai ? »
Bras croisés, il fixa sans réagir la main tendue, que Fujima prit et secoua chaleureusement en faisant la courbette, visiblement enchanté d'avoir affaire avec un homme reconnu dans le milieu. Sendo ne manqua pas de lui adresser un regard à la fois dépité et glaçant qui le fit lentement lâcher prise et le poussa à se retirer quelque peu. Avant même que l'inspecteur n'ait répliqué quoi que ce soit, le dénommé Ken les informa d'un fait aussi alarmant que surprenant.
« Vous devriez faire gaffe, par là il y a des corps éparpillés, ça a encore l'air dangereux mais je saurais pas dire ce qui se trame là-bas ! »
Manifestant une vive surprise, Sendo se tourna vers son coéquipier qui eut la même réaction et lui indiqua d'un signe de tête de prendre les devants. Tous deux se lancèrent alors à la recherche des victimes en se rendant dans la direction désignée par le caméraman qui les regarda s'éloigner à vive allure.