Centre ville de Tokyo – 20h30.
Restaurant : Teikoku no Sushis.






Yamamoto Takeshi poussa la porte qui s'ouvrit sans bruits et pénétra dans son propre restaurant. Son regard balaya rapidement la salle.

Rares étaient les fois où il s'aventurait en dehors d'Osaka. Ce soir avait-il quelque chose de spécial ? Pourquoi venir jusqu'ici, une urgence peut-être ? Si non, un rendez-vous ? Personne d'autre que lui-même ne pouvait répondre à ces interrogations car Takeshi n'avaient pas d'assistants et son secrétaire n'en savait toujours que très peu. Il était seul. En vérité, il était simplement venu se détendre et s'assurer par la même occasion de la qualité continue de son restaurant principal ici-même, à Tokyo. Ce déplacement n'était pas anodin...
Ces derniers temps, les missions se faisaient de plus en plus dures, violentes et sans pitié. Depuis huit missions consécutives, il revenait toujours seul. Tous ceux avec qui il avait sympathisé, tous les guerriers qui lui avaient appris les bases et fournis tout ce dont il avait besoin pour s'en sortir n'étaient plus. Cela ressemblait à un cauchemar, ou une guerre sans fin. Bien que le fait de tuer d'autres êtres-vivants avait été un cap difficile à passer, il s'y était désormais habitué mais détestait toujours autant cela. Pour ne plus avoir à penser à tout cela, à la prochaine mission, il avait grand besoin de se détendre, se vider complètement la tête.

Patientant à l'entrée, il contempla l'endroit. Le restaurant était plongé dans une ambiance douce. L'éclairage était tamisé, pas trop sombre pour ne pas ressembler à un banal club. Une musique s'échappait des enceintes, un son presque romantique, apaisant. Une belle chanson au volume très bas. Le mobilier gardait un côté traditionnel, typiquement Japonais, mais était toutefois très adapté à la décoration avec des fauteuils confortables couleur cerise. De magnifiques érables japonais étaient disposés dans divers endroits et décoraient efficacement les lieux. Au fond à gauche, le comptoir, espace privilégié de l'unique cuisinier était bien éclairé. Takeshi ne put s'empêcher de sourire, car il le connaissait.


Soudain, la serveuse, Mika, vint à sa rencontre. Elle s'arrêta aussitôt en le dévisageant. Stupéfaite par la visite inattendue du patron, elle exécuta une série de courbettes exagérées en bredouillant.

Mika : " Ya... Yamamoto-sama ! Qu... quelle surprise, nous ne vous attendions pas ! " 

Haussant les sourcils, lui-même étonné de l'effet qu'occasionnait sa présence sur Mika, il laissa filtrer un rire amusé qu'il accompagna d'un large sourire amical, levant une main pour tenter de la calmer.

 " Allons, ne faites pas cette tête Mika. Je ne viens pas en ennemi. " dit-il avec humour.

D'abord flattée qu'il ait retenu son prénom, la jeune fille fut sidérée devant le respect que lui témoignait quelqu'un comme lui. Sans arrêter de se courber, elle renchérit, toute rouge.

Mika : " Ne... ne dites pas ce genre de choses, Yamamoto-san ! " 

Elle finit par se ressaisir au bout de quelques secondes et s'empressa de conduire l'invité d'honneur à une table. Elle prit soin de lui choisir le meilleur emplacement. Ainsi, il fut amené à la place réservée aux hautes personnalités, le coin qui offrait un point de vue superbe sur l'ensemble de la salle, en face du comptoir. Sous la tonne de formalités de Mika, Takeshi prit place en silence, appréciant le confort offert par son assise.

 " Comment va Shinryu-san ? " 

Sursautant, Mika qui tenait la carte contre sa poitrine chercha ses mots avant de formuler le plus calmement possible sa réponse.

Mika : " O... oh ! Oui, bie... bien sûr, je vais de suite le prévenir de votre arrivée, je... excusez-moi ! " 

Avant que Takeshi n'ait pu répliquer pour lui dire que ce n'était pas la peine de le faire sortir de cuisine, la serveuse était déjà partie informer le concerné. Distrait par la timidité toujours excessive de Mika, il se laissa tomber contre le dossier du fauteuil en souriant, les yeux rivés sur le plafond.
L'instant d'après, il baissa la tête pour voire en face de sa table le vieux Shinryu, tout penaud, un peu essoufflé et visiblement mal à l'aise.

Shinryu : " Yamamoto-san ! huf... quelle joie que vous soyez-là, si j'avais su j'aurais mieux préparé le restaurant pour votre visite. " 

Takeshi se sentit tout à coup gêné de provoquer cette vague de stress à tout son personnel. Il pouvait comprendre que ça avait l'apparence d'un contrôle assez traître, mais ça n'était pas du tout le cas. Aussi il s'empressa de rassurer le vieil ami de son père.

 " Ne t'en fais pas Shinryu-san, je ne suis absolument pas venu pour te juger. Considère plutôt ma présence comme une visite amicale. Ca fait si longtemps qu'on ne s'est pas reparlé... Comment vont ta femme et tes enfants ? " 

La conversation engagée dans la joie et le plaisir des retrouvailles, il commanda par la suite un petit plateau adéquat à son appétit du moment que le vieil homme s'empressa d'aller préparer.

Centre ville de Tokyo – 20h45.
Restaurant : Teikoku no Sushis.

La scène commençait ainsi. D’Akane, on ne voyait que ses yeux, en gros plan volontaire. Un regard déterminé, impitoyable même, aussi acéré que celui d’un aigle se préparant à fondre sur sa proie.

"Alors vous voulez savoir comment ça c’est passé en Amérique …"

Akane avait ce même regard lorsqu’elle était entrée dans le bar malfamé mexicain, quelques kilomètres après la frontière. Les lieux étaient sales, puants, la chaleur à couper au couteau, l’air lourd et moite comme avant un orage qui serait toujours sur le point de naître sans daigner se déclencher. Le décor n’était pas la pire chose de ce bouge, il y avait les résidus d’être humains avachis sur des chaises au bois usé par le temps et les bagarres d’ivrognes. Dix brutes épaisses délaissèrent leur verre d’alcool pour jeter d’abord un regard torve à la jeune femme en tenue militaire qui venait d’entrer dans le bar en faisant grincer les portes à battants. D’abord un regard torve, puis lubrique alors que l’information parvenait à leur cerveau embrumé, sous trois mots : flic, sexy, canon. Leurs lèvres s’étirèrent alors en un sourire grotesque, dévoilant quelques chicots noircis par la chique du coin.

Retour aux yeux de la jeune femme, dans le présent.

"Je leur ai dit que je venais les arrêter, que j’avais un mandat international, et ils ont été grossiers, ainsi que peu coopératifs. Alors, j’ai fait preuve de diplomatie musclée.

Retour au bar malfamé vu de l’extérieur. Le calme régnait, puis une brute vola à travers une de fenêtres avant de s’aplatir au sol en grimaçant, mordant la poussière au sol littéral du terme. A l’intérieur, Akane esquiva aisément un coup de couteau, et envoya l’agresseur voler dans la pièce d’un coup de pied retourné. Bris de glace, et la brute finit derrière le comptoir, assommé pour le compte. Un autre attaquait la jeune femme avec une queue de billard, et toucha son allié qui hurla en tenant son visage en sang. Le fautif vola jusqu’au billard en question, emporté par un coup de pied surpuissant au thorax. Le meuble en bois se brisa en deux sous l’impact alors que la brute au nez brisé n’avait pas le temps de se remettre du coup de bâton, Akane se ruait déjà sur lui telle une panthère à jeun. La peur déforma les traits du gars mais trop tard, la femme allait le frapper, vite et fort. Il chercha à la frapper au visage mais ne rencontra que le vide.

"Je me suis retrouvée sous lui et lui ai alors asséné un wamashi geri sur une partie de son anatomie interdite en compétition de karaté, mais qui délivrerait le monde d’une menace éventuelle de paternité de sa part."

Le visage crispé de douleur, la brute se plia en deux en se tenant l’entrejambes avant de se prendre l'instant d'après un autre coup, cette fois à la tête qui l’expédie à son tour hors du bar par les portes à battants.

"Pour conclure, je leur ai dit qu’ils avaient le droit de garder le silence."

Finalement, la bande de crapules se retrouva en totalité sous le soleil brûlant extérieur, à gémir de douleur sous l’effet d’os brisés, de chair tuméfiées et autres fractures diverses et variées. On entend alors une voix féminine dans le présent, une amie d’Akane qui s’exprime avec hésitation :

"Excuse-moi, Akane-San, mais ce que tu nous racontes me rappelle … le premier épisode de …"

Puis dans le passé supposé récent, Akane se présentait avec un triomphe relativement modeste devant ses victimes, avec le sentiment du devoir accompli, ne portant plus sa tenue militaire mais un pardessus marron et un chapeau de cow-boy, le tout rehaussé d’une étoile de …

"Texas Ranger ?"


Fin du gros plan. En entendant ces mots, Akane se passa une main dans les cheveux, émettant un très léger soupir, le maximum autorisé pour exprimer ses émotions en bonne société, quand on était éduquée normalement, après tout, Akane était japonaise et en compagnie de trois amies dans ce restaurant huppé. Vêtues toutes les quatre de jolies robes citadines pour ainsi dire normales, les amies avaient fêté le retour d’Akane des Etats-Unis d’Amérique en se restaurant en ce lieu sympathique, au demeurant charmant, alliant qualité et originalité. Assises à même le sol comme le voulait leur culture, elles se tenaient bien droites mais sans forcer, de par des années d’habitude. Ployer le dos en public eut été un signe de faiblesse impardonnable au Japon, même pendant ces moments de convivialité.

"Walker, Texas Ranger, oui. J’aime bien Chuck Norris, il gagne toujours, il bat tout le monde avec son karaté ultime, ça repose les neurones de voir ses films … oui, j’ai repris cette scène épique à mon compte. Je suis allée à un congrès sur l’uniformisation des protocoles militaires au sein de l’OTAN. Il faisait chaud, la climatisation était en panne et le colonel menaçait de sombrer dans le coma à chaque fois qu’un invité russe prenait la parole, avec leur langue … mélodieuse. Je lui donnais alors des coups de coude dans les cotes pour le réveiller et il me remerciait pour mon attention. Ce fut le seul avantage de mon devoir, pour ne pas dire de cette corvée, malmener un supérieur en toute impunité."

Ces paroles conclues avec malice firent sourire ses amies. Le repas était terminé et les jeunes femmes buvaient tranquillement leur thé en écoutant les … exploits de la jeune femme à la peau d’ébène, mais indubitablement japonaise, acceptée en tant que telle, en tout cas.

"Tu racontes bien les scènes d’action, il faut dire que tu dois souvent te battre pour assurer le maintien de l'ordre au sein de l'armée."

Savourant son thé, Akane leva un sourcil interrogatif en entendant cette remarque d’Akiko.

"Moui. En même temps, ce n’est pas tout le temps la guerre, à la police militaire, on peut être amené à se retrouver dans une fusillade mais ce n’est pas comme dans les films, et le seul mort à déplorer pour le moment était un contrebandier qui s’est pris une rafale accidentelle de kalashnikov de son complice. Ce n’est pas parce que ce fusil d’assaut demande très peu d’entretien qu’il ne faut pas l’entretenir. Il y a aussi l’enfer de l’administration mais c’est une vie plaisante, et puis je vous ai pour me ramener à la vie civilisée, mes chères amies."

Akiko, Daichi et Emi, des amies d’enfance, c’était dire. A ces mots, les jeunes femmes se permirent un léger rire amical, mais en mettant la main devant la bouche, sinon c’eut été inconvenant en public. Dans l’intimité, il en allait bien sur autrement, les japonaises étant heureusement beaucoup moins polies et lisses qu’on le pensait.

"Tu le sais, Akane-San, mais nous sommes toutes les trois mariées, tu devrais songer à en faire autant, je suis sure qu’il y a de nombreux beaux jeunes hommes qui accepteraient que tu travailles à l’armée."

Dit Emi sur un temps convaincant mais toujours aussi amical. Akane regarda le fond de son verre avant de répondre. Heureusement, il n’y avait pas d’image de femme nue comme pour les verres de saké …

"Il suffit que je le trouve …"

"Et pourquoi pas lui, il est tellement mignon, et ce serait le destin, n’est-ce pas. Veuillez m’excuser, je reviens sans tarder."

Akane se demanda pourquoi Daichi se levait, s’inclinait devant elles pour présenter effectivement ses excuses avant d’aller parler à la serveuse en désignant un beau jeune homme en train de se restaurer seul dans le coin des « Very Important Person », à priori. En tout cas, elle parut contente de ce que lui dit la serveuse car elle revint s’asseoir à coté d’elle, un grand sourire aux lèvres.

"Il s’appelle Yamamoto Takeshi, c’est le propriétaire de cette chaîne de restaurants et il est célibataire. Je l’ai donc invité à prendre le thé avec nous. Si on sent que le courant passe entre vous deux, Akane-san, on te laisserai seule à seul avec l’homme de ta vie, hihihi."

Cet étrange rire fut repris par Akiko et Emi, car oui, les japonaises pouvaient aussi glousser. Quant à Akane, elle était contente que sa peau noire dissimule aisément sa rougeur aux joues. Elle plissa les yeux jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que des fentes et regarda Daichi avec une envie très tentante de lui serrer le cou amicalement.

"C’est là qu’on dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je conviens qu’il a l’air plutôt bien fait de sa personne, mais le physique ne suffit pas, et puis de toute façon, il ne viendra pas, je connais très peu d’hommes qui affrontent quatre femmes en même temps, c’est un peu comme être au pilori."

Dit-elle en reprenant une attitude pacifique et en buvant une autre gorgée de thé en observant le prénommé Takeshi du coin de l’œil. Il était vrai qu’il était physiquement assez attirant, surtout pour Akane qui avait une faiblesse innée pour les japonais quand tant des japonaises avaient un penchant pour l’exotisme des occidentaux, et puis dans cette société, avoir un bon statut social était un avantage considérable pour trouver sa moitié, néanmoins Akane ne tirait pas de plan sur la comète. Elle guettait juste la réaction du jeune homme alors que la serveuse venait l’informer qu’il était invité à boire le thé par quatre jeunes femmes. Akane était très curieuse de nature, certes. La scène se terminait donc ainsi, sur un gros plan des yeux d’Akane, cette fois affichant une curiosité certaine.

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Takeshi profitait au mieux de sa soirée. En dépit du fait qu'il gérait son travail d'une façon exemplaire, cela n'empêchait pas certaines situations d'être stressantes. Fort heureusement, le jeune homme initié aux arts martiaux très tôt avait développé un self-contrôle impressionnant, sinon sa vie serait invivable entre les nombreux restaurants à gérer et les périlleuses missions. Qui ici pourrait se douter que derrière lui se cachait un guerrier en combinaison de science-fiction qui jouait les policiers inter-galactiques dans Tokyo dès la nuit tombée... ? Il sourit amusé par sa réflexion, ça lui rappelait Batman quelque part.

Ce soir, il y avait autant de clients que d'habitude, peut-être une trentaine éparpillés dans la grande salle. Vaguement, Takeshi en avait fait le tour, curieux de savoir quel genre de clientèle pouvait fréquenter son établissement dans cette capitale. Il fut agréablement surpris de remarquer la présence de certains jeunes ici et là. D'habitude, ils préféraient les fast-food aux endroits de ce genre, privilégiant la rapidité et le coût. Takeshi avait brillamment concilié les deux bords, alliant à la fois une qualité de service et de produits exemplaire à un coût très abordable. Au final, il avait crée des restaurants conviviaux où chacun pouvait venir se détendre et apprécier de la bonne cuisine sans se soucier du prix. Ici, les classes sociales n'avaient pas d'importance.
En jetant un oeil sur le diamant de sa bague familiale, il se sentit fier d'avoir honoré les souhaits de son défunt père. Un autre sourire naquit sur ses fines lèvres alors qu'il repensait à leur premier restaurant à Osaka. Quelle époque !


Le temps d'attente, sûrement écourté au maximum vu que Shinryu ne désirait absolument pas faire patienter son employeur et ami en dépit de toutes les sommations du concerné à ce propos, fut mince. Son plateau arriva avec Mika, l'adorable serveuse. Avant même qu'il n'eut l'occasion de la féliciter pour la rapidité du service, cette dernière l'informa d'une invitation pour la moins inattendue.

Mika :" Ya... Yamamoto-san, les quatre demoiselles à la table du milieu souhaiteraient savoir si vous accepteriez de vous joindre à leur modeste compagnie, ce soir. "

Mika, courbée, était rouge de jalousie mais dissimulait son état d'âme par un face impassible. Au fond de son coeur, elle aurait tellement aimée être à la place de ces femmes audacieuses. Takeshi, intrigué, leva les yeux pour repérer ladite table. Il trouva effectivement quatre femmes assez joviales qui semblaient regarder discrètement dans sa direction. Haussant les sourcils, il réfléchit à peine quelques secondes à cette invitation.
Il ne les jaugeait pas, ne se demandait pas si elles avaient des arrières-pensées. Il se dit tout bonnement que c'était une bonne occasion de se faire de nouvelles connaissances et de ne pas passer la soirée seul. Contrairement à certains hommes qui auraient des intentions suspectes, le fait qu'elles étaient quatre et du sexe féminin ne changeait rien pour lui, il ne voyait que des êtres-humains amicaux. Un petit soupir amusé s'échappa d'entre ses lèvres alors qu'il se leva, se tournant vers Mika pour lui adresser la parole.

" Pouvez-vous apporter mon plateau à leur table s'il-vous-plaît ? "

Sur ce, il se dirigea lentement mais sûrement vers elles, sans les quitter des yeux. Il était plein d'assurance mais son regard était dénué de toute prétention. Une fois arrivé à proximité, il les salua respectueusement en se penchant légèrement.

" Bonsoir mesdemoiselles. Merci pour votre aimable invitation, je ne m'imaginais pas en compagnie ce soir. "

Courtois, il s'adressait avec respect à ces interlocutrices et les regarda tour à tour, affichant un sourire sincère. Il remarqua de suite cette jeune femme à la peau basanée, elle avait sans aucun doute des origines ce qui la rendait spéciale dans un pays comme le Japon. Il attendit qu'elles désignent sa place avant de s'asseoir sans bruits à leurs côtés. Même assis en tailleur, il paraissait toujours aussi grand.

" Yamamoto Takeshi, enchanté. Est-ce que je peux vous proposer quoi que ce soit à boire ou à manger ? "

Mika apporta son plateau finalement et se tint aux côtés de la clientèle, prête à réceptionner une éventuelle commande.

Ainsi, le dénommé Yamamoto Takeshi venait à leur rencontre avec une assurance exceptionnelle qui plaisait bien à Akane, laquelle déclina la proposition de commande, alors officiellement pour que le jeune homme ne mange pas seul, Akiko et Daichi optaient finalement pour un dessert hypercalorique qui leur coûterait une heure de sport intensive de plus cette semaine, alors qu’Akane observait ce jeune homme avec plus de curiosité.

"Je suis Emi Tsunade, voici Akane Ueno, Daichi Honda et Akiki Yamatsu. Nous sommes des amies d’enfance, on s’est connues à l’orphelinat, c’est dire si nous sommes proches."

"C’est vrai."

Répondit machinalement Akane, observant toujours Takashi, duquel elle lui semblait de plus en plus qu’il émanait comme une aura de combattant, mais elle devait faire erreur, son instinct n’étant pas infaillible.

"Nous trouvons que votre établissement est très bien tenu, n’est-ce pas, Akane ?"

"C’est vrai."

Réponse toujours aussi machinale d’Akane qui avait l’impression que les paroles de ses amies devenaient moins perceptibles pour elle tant elle était intriguée par cet homme. Certes, on physique était irréprochable, son charisme assez rare mais ce n’était pas seulement ça. Pouvait-il avoir un autre visage que celui d’homme d’affaires ? Pourquoi lui porter une telle attention … ce trouble n'échappait néanmoins pas à Emi qui devint plus audacieuse dans ses propos :

"Nous avons appris que vous étiez célibataire, une beau jeune homme comme vous, quel dommage. Vous savez, Akane est célibataire aussi. Vous vous rendez compte, une amie aussi mignonne qu’elle, sans époux, c’est un déchirement pour nous. Une bonne japonaise se doit de se marier dans la fleur de l'âge."

"C’est vrai."

Akane avait-elle vraiment entendu ? Rien n’était moins sur, mais cela amusait Emi qui porta alors l’estocade :

"Akane travaille à l’armée, elle y est certes en quelque sorte une guerrière un peu autoritaire, mais elle est tellement douce dans l’intimité, surtout dans l’acte d’amour. Adolescentes, nous avons plusieurs fois fait l’amour, toutes les deux, sa peau a un goût tellement savoureux, quel dommage qu’elle préfère exclusivement les hommes, depuis cette douce époque."

"C’est vr ... Emi ?"

La jeune femme se sentit rougir jusqu’à la pointe des cheveux en assimilant à contretemps ces dernières paroles, face à ses amies amusées par l’intérêt d’Akane pour le jeune homme. C’était tout de même très gênant en la circonstance, aussi la jeune femme se leva et s’inclina devant le jeune homme en signe de respect.

"Je vous prie d’excuser mon amie dont les paroles ont exceptionnellement dépassé la pensée."

Le code moral japonais était un peu lourd pour Akane mais devait s’y plier parce qu’elle vivait dans cette société, dans l’intimité, elle était elle-même mais présentement, ce n’était pas le cas. Elle attendit donc la réponse de l’homme en attendant de se rasseoir, sous le regard malicieux d’Emi qui reprit la parole :

"Akane est délicieuse, et tellement imprégnée de nos valeurs morales, en société ..."

L’intéressée préféra se concentrer sur la réaction de Takeshi, duquel émanait comme une aura de mystère, même si son amie avait raison, entre amis, elle était elle-même et n’aurait pas réagi comme si elle devait toujours être plus japonaise que les japonais, en société donc.

Mika nota les commandes de la table puis les laissa finalement.

Takeshi était observateur, il remarqua de suite Emi qui s'imposait en quelque sorte comme la meneuse, bavarde, sociable et sûre d'elle. Sûrement l'aînée de ce charmant quatuor. Il s'intéressa également à cette fille à la peau singulière qui faisait preuve d'une certaine retenue depuis le début. Son comportement, comme sa gestuelle, n'était pas rigide mais avait toutefois quelque chose d'autoritaire. Les présentations lancées il apprit le nom de cette femme, Akane Ueno, et prit soin de retenir celui des autres.
Avec une attention toute particulière, il écouta ce que ces charmantes demoiselles avaient à lui dire. Heureux il était de savoir que l'établissement leur plaisait, comme sa personne. Il les observaient avec une retenue naturelle, ne regardant jamais leurs formes comme d'autres auraient tendance à le faire. Pour Takeshi, tout se passait dans les yeux. Il était d'ailleurs difficile de soutenir le regard de cet homme... Bien entendu il n'insistait jamais pour ne pas mettre ses interlocutrices mal à l'aise et changeait de personnalité au moment adéquat. Ce fut essentiellement lorsqu'il se rendit compte que la dénommée Ueno avait les yeux rivées sur lui qu'il lui adressa tout son intérêt, plongeant ses yeux dans les siens. Ce n'était pas un regard de défi, ni d'intimidation, il ne la sondait pas non plus. Il ne faisait qu'établir un lien invisible avec elle, sans perdre une miette des confessions qui étaient faites impunément autour de cette fille qui semblait momentanément ailleurs. D'abord formelles, les anecdotes se révélèrent vite croustillantes.


Dans la mêlée, Takeshi apprit beaucoup de choses à son sujet. Tout d'abord, elle était célibataire, travaillait pour l'armée – ce qui justifiait son attitude générale, et avait une autre personnalité dans l'intimité. Cet aveu osé, vraiment inattendu vu le contexte, surprit un tant soit peu Takeshi. Pourtant, il ne fut pas outré, ni intimidé par ces révélations. A vrai dire, un certain nombre de femmes avait de l'intérêt pour lui et il avait eu le droit à des propositions si indécentes qu'il était difficile de le choquer. Plutôt amusé, il laissa échapper un rire franc d'entre ses lèvres.

Aussitôt, la concernée se releva pour s'excuser promptement, ce qui ne manqua pas de distraire d'avantage Takeshi. Sans la quitter des yeux, il finit par afficher son éternel sourire et leva la main à son attention.

" Ha ha ha, aucuns soucis, Akane-san. "

Il la dévisagea une dernière fois, plus intensément que les précédentes fois. Que pensait-il d'elle ? Cette femme était intrigante, sans aucun doute possible. Takeshi se posait à cet instant un bon nombres de questions sur elle. La trouvait-il attirante ? Oui, elle était vraiment séduisante, mais le physique n'était pas ce à quoi il accordait son importance. Il voulait mieux la connaître. Afin de rediriger habilement la conversation sans s'y détourner comme quelqu'un de gêné l'aurait fait, il s'adressa à celle qui avait lancée cette pointe d'humour, Emi.

" C'est bien rare d'être aussi proches. Vous vous connaissez apparemment du bout des doigts vu vos expériences communes. Dans ce cas, je serais ravi d'en apprendre d'avantage sur vous, Akane-san. "

Il s'empara avec délicatesse d'un maki au saumon à l'aide de ses baguettes et le dégusta sans bruit, puis se tourna vers son interlocutrice. Il laissa planer un moment de silence avant de formuler son interrogation. Ses yeux marrons furent illuminés de cette pointe grise que l'on pouvait retrouver sous certains éclairages, ne se détachant pas du regard de son interlocutrice. Il ne s'embarrassait jamais de compliments hypocrites ou de phrases toutes faites pour draguer rapidement. Il parlait avec sincérité, ne complimentait pas pour flatter mais pour avouer. Il était honnête dans ses propos et cela se ressentait dans son regard. Cependant, il était capable de faire le mur, de sorte à ce qu'on ne puisse pas deviner le fond de ses pensées. Il allait jouer avec elle, sans en abuser.

" Je suis sûr que les dires de votre amie son exactes, vous êtes une femme séduisante. Un somptueux métissage. Si vous voulez bien m'accorder une réponse, j'aimerais vraiment connaître vos origines. "

Discrètement, Mika revint pour apporter les commandes de dessert.

"Je suis sûr que les dires de votre amie son exactes, vous êtes une femme séduisante. Un somptueux métissage. Si vous voulez bien m'accorder une réponse, j'aimerais beaucoup connaître vos origines."

A ces mots, Akane exprima son agrément aux paroles de l’homme en inclinant brièvement son doux visage devant lui.

"Merci pour votre compréhension, Takeshi-san. Quant à votre intérêt pour moi, je le trouve flatteur et vos paroles transportent bien plus qu’une simple marque de politesse qui est tout à fait charmante. Vous aimeriez connaître mes origines, ce qui est une curiosité tout à fait saine, moi aussi je suis très curieuse et ce n’est pas une déformation professionnelle. C’est de naissance, précisément."

Avec une furtivité exemplaire, la serveuse apporta donc les desserts, quant au jeune homme qui dînait avec Akane et ses amies, il avait réagi avec naturel et une ouverture d’esprit peu communes dans la société, ce qui le rendait non plus intriguant pour la militaire, mais sympathique et mystérieusement attirant. D’un léger coup d’œil, elle remarqua aisément que Emi avait cessé de parler pour se plonger dans la dégustation de son verre, affectant de ne plus voir ni Akane, ni Takeshi, exprimant une neutralité soudainement parfaite qui ne dupait pas son amie d’enfance : la marieuse était parvenue à ses fins et n’avait plus de rôle à jouer. De surcroît, Akane était parfaitement prévisible pour celles qui l’avaient connue dès l’enfance. Après quelque verres de saké, les japonais devenaient aussi extravertis que les autres peuples, ils riaient, ils s’amusaient, ils se détendaient, et c’était ce qui se passait dans le restaurant, en une ambiance néanmoins maintenue bonne enfant par une musique propre à ne pas exciter les esprits. Si Takeshi avait prévu tout cela, c’était du grand art, la preuve d’un sens de l’esthétisme raffiné. Bien sur, Akane n’était pas une jouvencelle adepte du coup de foudre forcément insensé, mais elle trouvait décidément un aspect unique à son interlocuteur. Comme l’ambiance devenait moins formelle en ce lieu, la militaire fissura mentalement son masque social. Elle ne devint pas détendue, elle l’était déjà, mais son expression changea avec une subtilité à priori bénin mais ce n’était pas le cas, comme si son charisme libéré faisait augmenter la température d’un ou deux degré, ce qui n’était pas rien. D’un mouvement à la fois fluide, gracieux et sans este inutile, montrant en un instant sa gestuelle féline mêlée de ses aptitudes combattantes, Akane se retrouva devant Takeshi, et par ce simple geste, le groupe de cinq devint un groupe de trois et un groupe de deux, ce qui n’offusqua nullement ses amies qui s’attendaient à ce que le naturel de la japonaise à la peau d’ébène se réveille finalement de sa torpeur sociale, et le masque était simplement fissuré.

"Je suis née au Japon de parents inconnus et placée dans le même orphelinat que ces chipies, et on ne râle pas, derrière, j’ai un œil dans le dos, n’oubliez pas."

Dit-elle en tournant juste assez le tête pour tirer discrètement la langue à ses amies qui gloussèrent avant de retourner à leur pseudo conversation, sachant qu’elle étaient toute ouie, espionnant le groupe de … deux, donc. Ceci fait, Akane sourit à son interlocuteur, avec une malice désarmante, avant de poursuivre :

"Je pense avoir du sang japonais et du sang américain. Je suis néanmoins entièrement japonaise et j’aime ce pays malgré ses défauts, mais qui n’en a pas. Sans être une « rambette », je bosse pour éviter des abus au sein de l’armée, en un mélange d’action et de réflexion qui me plait bien même si j’ai en horreur toute cette foutue paperasse qui me tombe parfois dessus comme des menottes sur un soldat bourré. Non mais, est-ce que j’ai une tête de gratte-papiers, non hein."

Conclue-t-elle en mettant la main sur sa poitrine, à hauteur de son cœur dans une expression peinée, juste avant de vouer un large sourire au jeune homme.

"Dites-moi, Takeshi-san, ce que vous pensez des femmes actives, voire qui sont amenées à se battre. Mon instinct me souffle que vous n’êtes pas du genre à placer la femme uniquement au foyer mais je ne vais pas dire la question et la réponse, une deuxième fois oui. Dites-moi aussi comment vous ai venue l’idée de monter cette chaîne de restauration, et pourquoi vous me donnez l’impression d’être un samouraï dont on évalue le talent de combattant au nombre de fois où il a frôlé la mort. Toujours mon instinct, oui."

Akane plongeait alors son regard dans celui de l’homme, et donc dans un seul œil, sinon elle aurait louché, n’est-ce pas. En tout cas, le regard de la jeune femme ne se voulait pas inquisiteur mais profond, comme s’il transperçait l’âme. Takeshi risquait fort d’avoir la sensation de se perdre dans le bleu de ses yeux, mais était-ce vraiment un risque ?

"Dites-le moi sans détour, si je suis indiscrète."

Et dire que le masque social n’était que fissuré.

Takeshi remarqua aussitôt cette fissure.

C'était comme si un fauve venait de briser quelques barreaux de sa cage. C'était suffisant pour entrevoir la bête et la comprendre... du moins, appréhender. Intérieurement, il ne cachait pas cette fascination grandissante qu'il se découvrait pour cette femme. Elle était unique.
À ses yeux en tout cas, elle était rare. Sa voix, les intonations qu'elle lui donnait, chacun de ses mots, sa gestuelle comme sa tenue, tout semblait avoir été étudié, et adapté. Elle parvenait à s'emparer des moeurs propres à la culture japonaise, sans en faire son code stricte. Elle arrivait efficacement à détourner les règles, dans la plus grande discrétion, et se retenait de bien des choses, c'était visible. Mais cette retenue se transformait en une sensualité extrême. C'était ce qu'elle dégageait. Il était charmé, pour une fois.
Cependant, rien sur son visage ne laissait transparaître le fond de sa pensée ou ses sentiments. Il se contentait de plonger ses yeux dans les siens, apprécier sa compagnie et lui faire savoir à l'aide de ses lèvres, affichant sincèrement ce même sourire qui exprimait une joie de vivre étonnante. L'ambiance du restaurant permettait cette alchimie précieuse. La musique, les couleurs, l'ameublement, tout était sobre et à la fois prédisposé à exciter sournoisement les sens, à réveiller un appétit, quel qu'il soit... Takeshi était à l'aise et complètement naturel. Il écouta toujours avec attention son interlocutrice alors qu'il dégustait à nouveau les mets de Shinryu-san.

Les origines d'Akane étaient à son image, malicieuses et mystérieuses. Elle énonça derrière une courtoisie habituelle, ce qu'elle pensait du pays qui l'abritait. Tout au long de son monologue, jusqu'à ses interrogations, Takeshi ne s'empêcha pas de rire légèrement. Il retrouvait au travers du discours de la militaire un ordre d'idées qui était finalement proche du sien. Il trouvait dès lors l'intérêt de la discussion doublé et la personnalité de l'orpheline d'autant plus amusante. Elle était à la fois intégrée à la société japonaise et complètement en marge. Un genre de conflit intérieur.
Ce qui le surprit agréablement, ce fut qu'elle réussissait - comme lui y arrivait en définitive - à le comprendre et à deviner ce qu'il pensait sur certains points. Elle l'anticipait. Un combat mental des plus amicaux ? Pourquoi pas. Takeshi ferma les yeux, poussant un soupir amusé une fois encore, puis il répondit. Il ouvrit les yeux, dirigea ses pupilles dans celles d'Akane et commença à parler, sa voix douce et grave s'élevant dans les airs.


" Vous avez soulevé tout un tas de points captivants, Akane-san. Notre société a des défauts indéniables, bien trop importants, comme le rôle qui a été attribué à la femme. Si vous me demandez mon avis... je n'irais pas par quatre chemins et serait aussi sincère que vous l'êtes. "

Délicatement, il s'abreuva puis fournit sa réponse.

" Pour moi, il n'y a pas question de sexe et encore moins de classe sociale, quand on parle de rôle ou de capacités. Je suis de ceux que l'on pourchasse pour avoir des idées définies comme excentriques, alors vous devez vous douter de quel côté je me range. Selon moi, chaque individu, quel que soit son milieu, à sa place pour s'élever dans la société. Je ne crois en aucune supériorité hiérarchique ou masculine. C'est pourquoi je traite toujours la personne avec laquelle je m'entretiens avec le même respect, homme ou femme, riche ou pauvre, car je ne me considère aucunement meilleur. J'ai à apprendre de chacun comme chacun peut apprendre auprès de moi s'il le désire. "

Il s'inclina légèrement. Il pensait comme ça depuis son enfance, car son père lui avait transmis ses valeurs. Bien que contradictoires au schéma de pensée global de la société nippone, il semblerait que la lignée des Yamamoto avait toujours parlé ainsi. Sans orgueil, Takeshi se sentait tout de même fier d'appartenir à cette famille "noble", car il trouvait que son enseignement était des plus justes. Il se permit de lancer un trait d'humour pour transition. Ce n'était pas calculé, n'avait pas d'intention cachée, il était juste comme ça.

" Mais, si votre question de fond était de savoir si j'étais un mari fidèle et un homme au foyer modèle, rassurez-vous, je fais le ménage tout seul comme un grand avec autant de soin que je m'occupe de mes restaurants. "

Il rigola de bon coeur, puis son regard se fit soudainement plus perçant et envoûtant, et il apporta la suite de sa réponse aux questions qui lui avaient été posées.

" Cette chaîne de restauration n'est pas un héritage familial, ni une entreprise commerciale. En vérité, j'ai travaillé seul avec mon père dans un petit restaurant de campagne dont la firme porte aujourd'hui le nom. Si j'ai repris et étendu ce restaurant après sa mort, c'est par amour de notre cuisine traditionnelle, plus particulièrement de celle que m'a transmise ma famille. Ce travail me tient à coeur. Je pense avoir apporté du bonheur aux gens, en créant des emplois supplémentaires, et en faisant découvrir notre art culinaire aux personnes. Ici, ils peuvent venir comme ils sont, sans se soucier des différents qui les écartent généralement de la société. Ce ne sont pas des clients, pas des chiffres, pas des données statistiques mais des êtres-humains. C'est ce que j'ai voulu créer et je suis heureux que ça se passe ainsi. "

Il finit par en venir au sujet de la mort, de la voie du samuraï, ce qui l'avait particulièrement étonné lorsqu'elle avait énoncé cela...

" Et je dois avouer que cela m'a permit de rencontrer des personnes formidables. Vous en faites partie, Akane-san. Vous êtes dotée d'une capacité d'analyse digne d'une combattante, cela m'impressionne vraiment. Vous avez deviné sans mal qui j'étais. Je pratique la voie du sabre depuis mon enfance, car c'est là aussi l'enseignement de mon père et de ma famille. Il s'agit de toute une philosophie, et je la retrouve d'une certaine manière en vous. Aussi, entre guerriers, permettez-moi de vous retourner quelques questions. Comment et pourquoi avez-vous rejoint l'Armée ? Je sens que vous avez le poids des responsabilités, est-ce que vous y trouvez votre compte, dans toute cette autorité que vous semblez manipuler avec aisance ? "

Il la dévisagea, soutenant avec force et sans difficulté les yeux de la tigresse. Derrière ses questions, il y avait comme chez elle des sous-entendus, toujours subtils, qu'elle serait assez intelligente pour arriver à les déceler sans mal. Il s'amusait véritablement et l'appréciait évidemment.

On disait des hommes qu’ils avaient du mal à parler d’eux, à se confier, et ce n’était pas une question de peuple, c’était universel. Il y avait bien sur les volubiles qui parlaient donc trop, sans jamais dire quelque chose de vraiment intéressant. Takeshi semblait différent à plus d’un titre, il était même fascinant, même si Akane n’aurait su dire si elle éprouvait de la curiosité pour lui où si elle se glissait dans une attitude de jeu amoureux, rien de moins. Son doute à ce sujet faisait d’elle une humaine normale, et pas une calculatrice, elle en était loin. En tout cas, elle appréciait la compagnie de ce jeune homme qui lui parlait en toute franchise, sans réciter des formules toutes faites à laquelle il n’aurait pas cru. Il croyait vraiment à ce qu’il disait, Akane en avait la conviction. Il émanait de lui une grande force, comme une force tranquille. Ainsi, Takeshi lui parla sans détour de ses origines modestes et de son parcours professionnels intrépide, enchaînant sur la voie du sabre qu’il suivait depuis l’enfance. Inutile que la jeune femme mentionne qu’elle était un danger public avec une arme blanche en main, parler de ses faiblesses étant très mal perçu au Japon, et elle-même n’aurait pas évoqué cela. Continuant à regarder son interlocuteur, elle sentait qu’il louait ses mérites avec un discernement remarquable et elle se demanda s’il n’était pas entré lui-même dans une approche de séduction sans même s’en être rendu compte, ce qui serait tout à fait charmant. Elle avait néanmoins le sentiment que cet homme cachait bien plus qu’un esprit guerrier mais qu’il se battait vraiment. Ce sentiment fut accru lorsqu’elle se rendit peu à peu compte que Takeshi semblait porter une autre tenue sous son costume, qui lui allait comme une seconde peau mais n’était en aucun cas un sous-vêtement. Elle sourit en percevant les subtilités dans les questions de l’homme qui tenait vraiment à la connaître davantage.

"Ce que vous me dites est tout à votre honneur, vous avez beaucoup de mérite mais vous me flattez par cet intérêt que vous me portez, Takeshi-san. Avant de vous répondre, je voudrais vous dire que la voie du sabre est admirable et forge un mental fort, même s’il peut être parfois trop dur, mais je vois que vous avez un esprit à la fois dur et souple, et si vous pourriez être amené à être exigeant envers les autres, vous l’êtes tout autant envers vous-même, sans chercher une perfection qui n’existe pas, ce qui est tout à votre honneur, et vous semblez avoir des mains si douces. Pardonnez par avance l’audace de mon geste, je vous prie."

Ce disant, sans quitter des yeux Takeshi, Akane posa doucement une main sur la sienne et en éprouva la texture du bout des doigts, avant de la toucher à deux mains.

"Vous noterez que la jointure de mes mains sont un peu rugueuses, je le dois au close combat, mais vous avez gardé des mains douces, à part à la paume, en contact avec votre arme mais c’est bénin. Comme je le pensais, vous avez de très belles mains qui vont bien avec le reste de votre personne."

Et tout en parlant, elle le fit, elle glissa ses doigts sous la manche et toucha la combinaison faite dans un alliage qu’elle n’avait jamais touché auparavant, même si ce contact fut très bref. Cet homme était assez riche pour s’offrir une innovation technologique inconnue du grand public. Immédiatement, une image de justicier solitaire, combattant le crime dans les ombres, sans faire la une des journées donc, s’imposa à elle mais elle regardait sûrement trop de films. Cet aspect transcendait l’aura de mystère autour de Takeshi mais Akane se dit dans le même temps qu’il avait dû sentir qu’il avait senti ce contact, alors elle retira doucement ses mains en enchaînant :

"J’ai frôlé un bandage à votre poignet, j’espère ne pas avoir réveillé une blessure et …"

La militaire n’était pas censée reconnaître tous les type de texture, aussi cela devrait être crédible, au moins quelques minutes. Elle fut brusquement interrompue dans ses pensées lorsque son amie Emi la leva, comment dire … manu militari avant de sourire l’air gêné, alors qu’elle n’en ressentait bien sur aucune, de gêne.

"Pardonnez moi à mon tour mais j’ai bu trop de thé et vous connaissez la causalité, causes et effets … je vais aux toilettes et j’aimerais que tu m’accompagnes, Akane-san, et toi aussi, Akika, vous devez aussi éprouver ce besoin. Toi, Daichi, tu restes tenir compagnie à ce charmant jeune homme."

Akane voua un regard méfiant à son amie avant de s’incliner poliment devant Takeshi.

"Mon amie a raison, pardonnez nous notre absence plus ou moins brève, nous allons aussi nous refaire une beauté."

Oui, c’était toujours étonnant que les femmes aillent aux toilettes ensemble et se remaquillent ensuite. Les hommes ne faisaient pas ça. Voici dont le trio aux toilettes des femmes, bien plus raffinées que celles des hommes, comme si c’était une tradition universelle, même si en ce lieu, c’était vraiment très élégant. Aussitôt, Ami prit les mains d’Akane et se mit à sautiller sur place en gloussant comme une dinde, déjà imitée par Akika.

"Hihihi ! Tu l’as touché, tu l’as touché, c’est un signe ! Alors, alors, il te plait, hein, il te plait !"

"Hihihi ! Inutile de mentir, Akane-san, on te connaît trop !"

Akane soupira en entendant ces amies qui la connaissaient au point de se souvenir de ses petites mimiques quand elles passaient leur langue sur son corps à la peau d’ébène.

"Ha, je le savais, un interrogatoire … il est charmant mais ne vous emballez pas hein, hihihi !"

Répondit-il en sautillant à son tour en gloussant comme ses amies, avant de se calmer parce que bon, elles avaient vraiment envie d’aller aux toilettes ! Vint ensuite le moment de se maquiller, ce qui était léger en fait. Leurs paroles ne furent pas perceptibles en dehors des toilettes et quand elles rejoignirent la table, Emi annonça tranquillement qu’elles rentraient, remercia Takeshi, salua Akane qui se rasseyait pour sa part et s’en alla avec Daichi et Akika.

"Je reste encore un peu, il serait discourtois de vous laisser sans répondre à vos questions, Takeshi-san."

Répondit amicalement la jeune femme avant de continuer :

"Je sens que j’ai été un peu prédestinée à l’armée. A priori, mon père était un haut gradé et il gardait un oeil sur moi. A priori, il est mort il y a quelques années, je ne sais pas, je crois que je ne préfère avoir aucune certitude à ce sujet. De par mon caractère, et ma vive curiosité, je me suis orientée vers la police militaire, où j’ai pu botter les fesses de ceux qui tentaient de me manipuler tout en servant notre société contre les inévitables dérapages de gens armés jusqu’aux dents, et en occupant un poste où je demeure assez indépendante. Je peux être autoritaire mais je ne suis pas un dragon, comme on désigne ces femmes qui dirigent la vie de leur homme d’une main de fer dans un gant d’acier. Je vous dirais bien ce que je suis dans l’intimité mais ce serait déplacé, peut-être que vous le découvrirez, tout comme un jour, vous me direz peut-être pourquoi vous portez sous vos vêtements ce qui ressemble beaucoup à une deuxième peau ... et ce n’est pas pour absorber la sueur, parce que ce serait beaucoup plus discret et de surcroît vous ne le porteriez pas en ce moment. Un homme tel que vous ne transpire pas de la sorte ..."

Akane s’était penchée pour terminer ces dernières paroles, puis elle conclue sur un autre sujet afin de ne pas gêner son interlocuteur, lui souriant dans un doux mélange d’amicalité et de sensualité :

"Je crois que c’est le moment où vous me proposez de marcher un peu dehors, histoire d’y respirer l’air toujours plus frais."

Takeshi sentait bien que son interlocutrice l'observait et l'analysait, ce qu'il ne pouvait pas lui reprocher étant donné qu'il agissait de la même façon. C'était un jeu subtil et délicat auquel ils s'amusaient, mais n'était-ce pas dangereux ? Il y avait de la séduction entre eux, quoiqu'on en dise. Où cela allait-il les mener tous deux ?

Avec plaisir, il écouta sans répliquer les compliments et louanges que lui adressait Akane. Il aimait sa franchise, et à la fois sa perspicacité. Elle ne le connaissait que depuis quelques minutes à peine et déjà elle était capable de cerner les traits de sa personnalité... Cela dit, Takeshi aussi commençait à la comprendre de mieux en mieux. Elle n'eut aucun geste déplacé mais osa toucher ses mains. Ce n'était pas courant mais notre homme se laissa faire. Il ne sentait en elle aucune hypocrisie et il la savait inoffensive. Surpris, il appréciait surtout le contact chaleureux qu'elle lui offrait. Il avait eu peu de relations avec la gent féminine depuis son entrée dans la chambre, depuis que sa vie prenait une autre tournure... Il avait oublié cette chaleur humaine, alors il la savoura.
Il remarqua cependant jusqu'où elle s'aventura, au niveau de son poignet. Il sentit ses doigts se poser sur sa combinaison et comprit en lisant dans ses yeux à cet instant. Elle se doutait de quelque chose. Sans laisser transparaître l'étonnement, il la dévisagea en se posant à nouveau des questions de plus en plus nombreuses. Est-ce qu'elle était d'une autre chambre ? Etait-elle une guerrière, elle aussi ? Comment l'aurait-elle su... Ses doutes s'envolèrent aussitôt qu'elle fit allusion à un bandage. En définitive, elle ignorait tout de sa position, c'était juste une personne très habile.

Soudain, Emi invita ses amies aux toilettes. Takeshi comprit qu'elles avaient besoin d'intimité pour qu'elles puissent parler de lui sans détours. Il leur répondit par un sourire amical en leur indiquant la direction des sanitaires. Il se retrouva seul avec la seule fille encore à la table, Daichi.
Il tenta bien de la mettre à l'aise mais il ne parvint qu'à la faire rougir comme une pivoine, alors il préféra s'abstenir d'autres compliments et gentillesses jusqu'au retour du groupe...

Pendant ce temps, Mika, extrêmement jalouse, écoutait ce qui se disait sur celui qu'elle aimait.

Le temps d'attente ne fut pas long, Takeshi eut l'opportunité de terminer son repas. Lorsqu'elles arrivèrent, ce furent pour annoncer leur départ. Bienveillant, il leur souhaita un excellent retour et les invita à revenir quand elles le désiraient, les raccompagnant jusqu'à la porte. Seule Akane resta. Il en fut satisfait et lui adressa un sourire complice. Il se rassit donc à sa place, auprès de la demoiselle qui finalement apporta des réponses à ses questions. Il n'eut rien à y redire et fut même amusé à plusieurs reprises, tout comme il fut étonné qu'elle parle de sa combinaison.

Il haussa les sourcils et s'apprêta à lui fournir des explications sincères mais elle l'invita aussitôt à sortir marcher. Takeshi ne put s'empêcher d'éclater de rire. Il aimait beaucoup Akane.

" Ha ha ha ha ! Bien sûr. Ce sera avec plaisir. "

Ainsi, ils quittèrent ensemble le restaurant sous l'oeil triste de Mika, après que Takeshi ait payé et remercié Shinryu-san pour tout. La nuit était fraîche et douce, idéale pour une petite ballade.

THEME

Avec la même courtoisie, il questionna l'itinéraire à sa compagne, lui avouant en riant que son sens de l'orientation était d'un piètre secours. Au moins, il lui tiendrait compagnie et pourrait apprécier la sienne un peu plus longtemps. De la sorte, ils se dirigèrent dans un Tokyo calme en direction du logement de la jeune femme.

Désormais dehors, la légère brise de face lui donnait une impression de liberté, de bien-être. Cela faisait un moment qu'il n'avait plus ressenti cela non plus... quel soulagement. Il regarda la lune, pleine et lumineuse. Une magnifique vue du satellite terrestre. La lueur que créait cet éclairage et qui se reflétait sur la peau d'ébène d'Akane était magique, alors il l'apprécia en silence.

Gardant un sourire sincère et joyeux, il finit par répondre à la question de son amie avec autant d'honnêteté que possible, comme elle l'avait fait pour lui.

" Vous avez vu juste, Akane-san. Cette combinaison que je porte est spéciale, et est créée sur mesure. Elle est mon outil d'entraînement. Mes capacités sont poussées à leur paroxysme et je suis capable de dépasser mes limites de la sorte... "

Il s'arrêta un instant, fixant le ciel étoilé puis son visage.

" Je dois dire que c'est affreusement moulant mais très utile pour quelqu'un d'aussi perfectionniste que moi. "

Takeshi rigola de bon coeur, comme à chaque fois, puis reporta son attention sur elle. Il ne pouvait bien sûr pas lui parler de sa véritable vie, de ses missions qui consistaient à massacrer des êtres qui n'étaient pas humains, tout ça pour une histoire de points. Tout ceci était confidentiel, trop obscur pour être dévoilé à une inconnue. Elle avait beau être une militaire, il ne la sentait pas impliquée. Peut-être se trompait-il, mais son instinct ne lui avait encore jamais fait défaut...
Pourtant, en arrivant dans la chambre il avait songé à un projet de l'Armée étant donné le niveau de sophistication de tout ce programme, cependant il avait du se résoudre à l'évidence, ils n'étaient pas de la partie. Sinon, avec tous les moyens qu'ils possédaient pour les empêcher de divulguer ces informations sur la sphère, ils auraient déjà dû les briefer. De plus, l'Armée ne choisirait pas des civils pour un projet de cette ampleur, c'était sûr. Takeshi avait vu des infirmes, des enfants et même des animaux. Ce n'était pas cohérent avec cette théorie. C'était autre chose... Il sortit de ses pensées et offrit un sourire charmeur à Akane, involontairement. Il était heureux de l'accompagner, cela faisait une éternité qu'il n'avait plus eu ce genre de discussions, ce genre de promenades et de relations. Il s'était bien amusé ce soir, il lui en était en grande partie reconnaissant.

Ce ne fut qu’au moment de quitter le restaurant en charmante compagnie qu’Akane se rendit compte qu’un regard pesait bien davantage qu’un autre, et lorsqu’elle prit amicalement le bras de Takeshi, ce regard s’assombrit davantage. A priori, la serveuse appréciait particulièrement son patron, et secrètement, c’était trop mignon et fit sourire la jeune femme alors qu’ils marchaient donc cote à cote sous la lune. L’astre était alors plein, ce qui ne plaisait pas à la militaire, elle préférait les croissants de lune. Les hommes avaient tendance à devenir fous les nuits de pleine lune et justement, un malade mental se prétendant amoureux d’elle avait fui la prison de haute sécurité quelques jours auparavant. Les trois jours suivants seraient le moment idéal pour lui de tenter une dernière folie, mais ça ne faisait pas peur à la jeune femme qui profitait de cette belle soirée avec le séduisant Takeshi, lequel lui expliqua alors qu’il portait une tenue d’entraînement poussant ses capacités à leur paroxysme, ce qui amusa Akane, laquelle compara cela aux combinaisons des nageurs. Si Takeshi gagnait une meilleure pénétration dans l’air, ce serait bien sur un avantage crucial, certes. Elle rit avec lui quand il lui dit que c’était affreusement moulant.

"Les combinaisons moulantes sont impitoyables pour le moindre défaut physique, et je doute que vous en ayez le moindre, mon cher Takeshi. Lors d’une mission, je me suis fait passée pour une fan de cosplay, et je peux vous assurer que le latex bien moulant sur moi a attiré l’attention collective. Objectif atteint quoi, hihi."

Elle regarda le ciel étoilé puis ajouta tranquillement :

"J’ai tout de même le sentiment que vous êtes un vrai guerrier, et pas seulement une sorte de compétiteur, mais ça doit être mon petit coté fleur bleue qui me dit ça. Vous savez ce qui fait la force du guerrier, Takeshi-san ? A mon sens en tout cas, ce n’est pas son seul talent, ni la dureté de son épée, ni le nombre de ses munitions. Ce qui fait la force d’un guerrier, ce sont ses alliés, surtout celui qui veille sur ses arrières. Le mythe du guerrier solitaire ne tient pas, un guerrier seul est un guerrier mort, mais ne parlons pas de choses tristes, c’est une belle soirée, et c’est en grande partie dû à vous, mon cher."

Ils étaient arrivés devant chez elle, à la lisière de la zone militaire, un vieil immeuble mais plein de charme qui juxtaposait le grand dortoir des filles de la caserne. Ainsi gardait-elle un œil sur elles, l’air de rien, pour leur bien, héhé.

"Merci de m’avoir accompagnée."

Ceci dit, Akane regarda en direction de son appartement, puis Takeshi, à nouveau vers son appartement, et à nouveau Takeshi mais une japonaise n’invitait pas un jeune homme chez elle le premier. Pour ainsi dire pas la première semaine, ni le premier mois mais ça, c’était tout de même un peu trop. Un nuage immense couvrait l’horizon. D’ici peu, le temps serait plus lourd, puis il pleuvrait, puis le temps serait à l’orage. Akane plaça sa carte de visite dans le veston du jeune homme et lui sourit avec malice.

"Appelez-moi à l’occasion, pour ma part, j’aimerais vous revoir, mais gardons nous des coups de foudre, ils sont beaucoup trop brefs."

Un baiser sur la joue, un dernier sourire, et voici Akane rentrée chez elle. Le lendemain soir, son instinct ne pourrait rien pour elle. La vie est un jeu cruel, des fois, l’issue est inéluctable.