Le boulot était terminé.
Une journée normale, pas particulièrement plus chiante que les autres, tout aussi morose. Fini plus tôt.
Le seul intérêt pour moi, c'était évidemment de rentrer à la maison afin de retrouver ma fille et passer du temps avec.
Je regardais ma montre alors que je me tenais devant mon lieu de travail.
*Hm, encore trop tôt pour aller la chercher...*
Une goutte d'eau tomba sur la protection de ma montre.
Je levais la tête vers le ciel qui s'assombrissait et commençait à pleurer une pluie fine. Soupir.
Abrité, j'entrouvrais mon manteau et allais chercher mon carnet, calé au fond de ma poche intérieure.
Il me servait d'agenda. Je le feuilletais jusqu'à la date du jour, et le consultais pour y trouver mes “missions”.
*Une autre affaire conjugale...*
Loin d'être ce dont je raffole. Trop de cicatrices.
Mais inutile de geindre, l'argent est tout ce qui compte.
Pour Elena.
Penser à son prénom suffisait à me donner la motivation nécessaire pour me mettre en marche.
Direction un vieux love hôtel miteux payé à l'heure.
Les transports en commun, bruyants, aveuglants, malodorants.
On se noie dans la masse.
Surtout à ces heures-ci.
Musique - Monster OST : Collage man
Une fois sur place, examen du lieu ciblé.
Repérages, renseignements, graissages de pattes éventuels, puis prise de position.
Une minuscule chambre dont il émane une odeur de moisie, située en face de la chambre du couple d'amants frauduleux.
Appareil photo de sortie. La météo va bientôt empirer. Rideaux en obstacles.
- Merde...
Il fallait trouver une source de distraction.
Je renversais la poubelle de la chambre sur la moquette et fouilla, jusqu'à trouver un paquet de cigarettes vide. Cela ferait l'affaire.
Un deuxième projectile, plus efficace, une bouteille de bière vide.
Au moins j'avais évité les préservatifs usagés.
Retour à la fenêtre pour l'ouvrir. Je regardais en bas l'allée sombre qui séparait les deux bâtiments.
Personne. Personne non plus aux fenêtres voisines, suffisamment espacées.
Je réglais mon appareil, prêt à mitrailler.
Je visais ensuite la vitre en face, me préparant à lancer l'emballage vide sur la vitre en face dans le but de faire sortir les oiseaux de leur nid, et les surprendre.
C'était la seule preuve physique qu'il me fallait, une photo.
*Bon, c'est parti.*
Lancer effectué.
Le paquet frappa la vitre dans un bruit sourd.
Agenouillé, je jetais un coup d'oeil discret.
Deux silhouettes en mouvement.
Quelques secondes... mais rien.
*Magnez-vous, bon sang...*
Option 2 donc : faire plus de bruit.
Pas besoin de casser une vitre et de les effrayer.
Cependant, il fallait attiser leur curiosité. Trouvé.
Je me préparais à un nouveau lancer, visant cette fois l'encadrement de la fenêtre.
Bouteille en mains, grande inspiration, puis je me penchais pour crier en bas, afin de profiter de l'écho.
Enfin le lancer, qui fit exploser le projectile en multiples morceaux scintillants.
Et on retourne à genoux.
Jolie chorégraphie.
*J'ai toute votre attention maintenant ?*
L'action s'avéra fructueuses car les rideaux s'ouvrirent, dévoilant deux personnes nues : un homme âgé et une jeune femme.
*Et voilà.*
J'appuyais sur la gâchette, immortalisant le moment à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'un hoquet de surprise mit fin à la manoeuvre.
Lorsqu'ils se rendirent compte de la supercherie.
Toujours caché, je rangeais déjà mon matériel sans perdre un instant, puis refermais la fenêtre pour couvrir les insultes et menaces qui fusaient.
J'assurais ma sortie par l'issue de secours, qui me ramena dans l'allée sombre.
Je regardais les clichés de la pellicule.
Je repensais à mon client plongé dans le désarroi, et me sentais écoeuré en voyant sa petite-amie nue derrière cet espèce de gros porc dégarni.
La pluie s'était légèrement intensifiée.
Un sourire en coin, je redressais la tête pour observer les hauteurs, histoire de m'assurer de ne recevoir aucune bouteille ni autre projectile en retour.
L'allée était redevenue silencieuse, jusqu'à ce que mes semelles rencontrent les débris de verre qui craquèrent sous le poids de mon corps.
Mais un son plus sec, métallique - un déclic, alerta mon ouïe.
Je haussais un sourcil en regardant le sol.
Une voix derrière moi me fit sursauter.
“C'est ce qui arrive lorsqu'on se mêle de ne ce qui ne nous regarde pas.”
“... !”
D'abord figé, je m'apprêtais à me retourner immédiatement, mais quelque chose m'en empêcha.
Une détonation assourdissante.
Les flaques à mes pieds s'étaient teintes de rouge.
Puis le noir complet, alors que je sentais mon corps chuter lourdement en avant.
Tout disparaissait, les ténèbres m'enveloppèrent.
Une seule image en tête demeurait.
Ma fille.
Elena.